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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/88

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Au printemps surtout, quand il lui fallait bêcher le jardin, il était toujours furieux, parce qu’à cette époque l’ouvrage abondait chez nous. Et c’était encore pis au moment de la rentrée des récoltes : il avait alors des réponses affairées quand M. Boutry venait lui commander quelque chose :

Oh m’sieu, ça va t’y nous r’tarder ! J’voulions faire ça ou ça — finir de rentrer le foin d’un pré, terminer le liage d’un champ de blé ou édifier une meule. — J’aurions déjà peiné d’en voir le bout.

Presque toujours ma mère renchérissait, ou bien mes frères. Alors le maître :

— Mais il n’y en a pas pour longtemps, mes amis. C’est l’affaire d’un tout petit moment… Vous m’aurez vite fait ça, mon brave Bérot.

Pus longtemps qu’ou pensez, allez, m’sieu… Ça va bien nous embrouiller, j’vous en réponds, reprenait mon père.

Ces doléances ennuyaient M. Boutry. Il n’osait plus venir nous déranger, sauf les cas d’absolue nécessité ; et alors il se faisait très humble, courbant le dos, — tel un chien battu à la suite d’une frasque, — comme s’il eût demandé service à des indifférents.

Du côté des femmes, les choses allèrent bientôt plus mal encore. Mme Boutry, maigre pimbêche sur le retour, était loin d’être aussi accommodante que son mari. C’était d’un ton sec et dédaigneux qu’elle disait à ma mère :

― Jeannette, vous m’enverrez quelqu’un demain pour la lessive. Ou bien : ― Je compte sur Catherine dimanche pour aider la bonne ; j’aurai du monde.

Cela n’admettait pas de réplique.

De plus, elle était méfiante à l’excès. Les volailles, les fruits, étant à moitié au même titre que le reste, elle comptait fréquemment les poussins et venait souvent