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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/87

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— Comme les autres jours, ajoutai-je malignement.

M. Boutry vit bien qu’on se fichait de lui. Il partit très mécontent.

— Vieux serin, va ! t’as pas fini de nous embêter, monologua mon parrain en le voyant s’éloigner. Qu’on est malheureux d’avoir toujours ce vieux cruchon sur le dos !

La politesse, la déférence nous faisaient bien défaut, comme on voit. Pourtant, au Garibier, avant la rupture, nous savions nous montrer empressés à l’égard de Fauconnet. Mais Fauconnet ne venait que deux fois par mois ; il connaissait la vie rurale ; il avait comme gérant des capacités incontestables ; enfin il savait parler en maître. Tandis que Boutry, exprimant d’un air de prière les idées de ses livres, nous semblait ridicule ; et puis, dame, il était toujours là…

De par les conditions du bail, nous étions astreints à accomplir pour le service particulier du maître une foule de petites besognes : car il n’avait pas de domestique mâle. Nous devions soigner son cheval, nettoyer sa voiture, atteler et dételer quand il allait en route, puis faire son jardin et casser son bois. Il eût voulu, je pense, que nous prévenions ses désirs, que nous nous prêtions au moins de bonne grâce à l’accomplissement de ces diverses corvées. Et, certes, avec son caractère, nous eussions gagné d’agir ainsi, de demander chaque matin, par exemple, si Monsieur allait en route dans la journée et à quelle heure, s’il y avait quelque chose à faire au jardin et ainsi de suite. Mais, au lieu de cela, mon père, qui se chargeait ordinairement du pansage du cheval et des autres travaux, ne cessait de dire au bourgeois qu’il était très ennuyeux de passer du temps chez lui alors qu’on avait tant à faire ailleurs : il ignorait absolument l’art de la dissimulation, si nécessaire dans la vie.