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Page:Guinault - Le numéro treize (1880).pdf/23

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LA VEILLÉE

On en fit de la toile fine,
À tenter un duc bourguignon ;
Elle blanchit sur la colline :
Mes enfants, qu’elle sentait bon !
J’en avais plein la grande armoire.
Ah ! que mon homme était content !
« Il me disait : La bonne histoire !
» La Reine n’en fait pas autant. »
Je me redressais radieuse
En tournant le fil rondelet :
Chante avec la vieille fileuse,
Chante en travaillant, mon rouet !

Il était si bien dans ses langes
Mon premier-né, mon petit Jean,
Qu’il eut souvent des airs étranges
Et riait d’être paysan.
J’ai marié ma gente Annette,
Et je la vis partir, hélas !
Mais, j’ai dit : « Prends ton lot, fillette,
Mon rouet n’est pas encor las ! »
Et l’enfant m’embrassa joyeuse,
Jetant un regard au pauvret…
Chante avec la vieille fileuse,
Chante en travaillant, mon rouet !

Ne sens-tu pas sur la pédale
Mon pied se poser lourdement ?
Il me semble par intervalle
Que tu travailles lentement…
Ta voix s’enroue, et ma main tremble,
Et nos membres sont engourdis…
Finissons notre tâche ensemble
Toujours gais comme au temps jadis :
Allons ! chante avec ta fileuse,
Chante encor un dernier couplet
Et de notre union heureuse
Dis les beaux jours, mon vieux rouet !