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Page:Guindon - En Mocassins, 1920.djvu/148

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le paradis perdu

sent de leur déclin. « Les êtres vivants, se disent-ils, passent comme l’eau toujours nouvelle entre les mêmes rives. Leur vie les consume, car elle est un feu, et ce qu’elle brûle ne renaît pas de ses cendres. »

Pleins de ces tristes pensées, ils tiennent conseil dans leur pirogue primitive. C’est l’heure de l’aurore. La mer calme dans laquelle ils se mirent, les brumes flottantes qui les entourent, la tiède lumière matinale, semblent favoriser leur émotion. Leurs paroles mesurées alternent avec de longs silences. « Mes Frères », dit l’un d’eux, « l’esprit funèbre doit rompre le fil qui nous attache à la vie, faisons donc notre chant de mort et confions-le aux échos de la mer ». D’une voix entraînante il entonne et ses frères répondent :

« Nos cheveux ont pris la couleur de la brume, et, comme le brouillard que dissipe le soleil du matin, nous allons disparaître. La vague s’abaisse et se tait pour s’élever et chanter encore ; mais l’homme mort, devenu la pâture des oiseaux et des requins, se taira pour toujours. Ô vague fugitive, tu n’as rien à nous envier ! Et vous non plus, ô monstres de l’abîme, qui léguez à vos enfants votre vie et vos difformités : moins heureux que vous, les hommes ne laisseront point de traces ; pas une goutte de leur sang ne leur survivra ! Sous les larmes indifférentes de l’orage, sous les cruels