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INTRODUCTION.

éloigne de votre patrie, de votre domicile ; le bannissement vous en chasse ignominieusement… Ainsi on ne se bannit pas, on s’exile soi-même, etc. »

Cet exemple suffit pour montrer que l’on peut, souvent avec fruit, appeler à son secours la connaissance des langues étrangères ; mais c’est un moyen dont il ne faut user qu’avec circonspection. En passant d’une langue à une autre, les mots changent, pour ainsi dire, de patrie ; leur ancienne figure, leur première signification s’altèrent et se décomposent : ce serait donc à tort qu’on voudrait tirer de leur origine des inductions positives ; c’est un guide qu’on peut consulter, mais qu’on ne doit pas toujours suivre.

Ajouterai-je enfin que pour déterminer avec justesse le sens propre des termes, il faut connaître l’histoire des mœurs, des usages de la nation qui les emploie, et de celle à qui ils ont été empruntés ? La langue est intimement liée avec les habitudes, les principes de ceux qui la parlent ; elle en dépend comme l’image dépend de l’objet, comme le signe dépend du signifié : cette liaison, moins sensible lorsque la grammaire formée et perfectionnée s’est mise en quelque sorte à l’abri de la variation des opinions, ne laisse pas d’avoir toujours une influence réelle. Que l’on suive l’histoire de la langue française depuis François Ier jusqu’à nos jours, en la comparant avec celle de nos mœurs et de nos coutumes, on sera frappé de leur conformité : nous verrons notre langue, revêtue d’abord d’un caractère de franchise et de naïveté chevaleresque, perdre de sa simplicité à mesure que disparaissait celle de nos idées, pour gagner en urbanité et en sagesse proportionnément aux progrès de la civilisation. Hérissée, sous Louis XIII, des pointes et des jeux d’esprit qui faisaient les délices de ce temps, elle prit une tournure pleine de prétention et de subtilité, qu’elle échangea bientôt, sous Louis XIV, contre un caractère de noblesse, d’élégance et d’ostentation conforme à celui de ce siècle. Le siècle suivant lui donna plus de clarté : elle était formée, il la fixa, mais en laissant encore sur elle l’empreinte de l’esprit qui régnait alors. « Ce serait, a-t-on dit, une chose assez curieuse à savoir, pour l’histoire des mœurs, que l’histoire des mots » : il n’est pas moins curieux pour l’histoire des mots de connaître celle des mœurs. Cette influence réciproque des usages et des