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ix
INTRODUCTION.

opinions sur le langage, et du langage sur la direction et le progrès des connaissances, s’étend plus loin qu’on ne le suppose au premier coup d’œil.

Elle n’est donc pas à dédaigner pour la détermination du sens propre des synonymes ; mille exemples le prouvent. Ainsi le mot libertin ne désigna probablement d’abord que ceux qui faisaient usage de leur liberté. Pendant le siècle de Louis XIV, on l’appliqua aux hommes trop libres dans leurs opinions politiques et religieuses. Mme de Motteville, dans ses Mémoires, se plaint des esprits libertins qui décrient le gouvernement. Orgon, dans le Tartuffe, dit en parlant de Valère :

Je le soupçonne encor d’être un peu libertin ;
Je ne remarque pas qu’il hante les églises.

il était donc à peu près synonyme d’esprit fort, incrédule, noms d’invention plus récente.

Lorsque, sous la régence, la corruption des mœurs fut devenue le caractère de la société, on n’appela plus libertins que ceux qui se piquaient de penser librement sur les devoirs à observer dans le commerce des femmes, et ce mot devint synonyme de licencieux, débauché, etc. Ce dernier sens lui reste aujourd’hui, mais on voit quels changements lui a fait subir l’altération progressive des principes. Le mot preude a éprouvé le même sort : preude femme signifiait autrefois une femme vertueuse et prudente, comme preud’homme signifiait un homme sage et vertueux. Quand les mœurs se relâchent, la vertu est souvent traitée d’hypocrisie : aussi, dans les temps modernes, le mot prude n’a-t-il plus désigné qu’une sagesse, une vertu affectée ; il a cessé d’être un titre honorable et s’est trouvé lié par des rapports de synonymie avec des termes dont jadis il était bien éloigné.

On voit, d’après cela, quelles ressources peut fournir la connaissance des mœurs et des habitudes de la nation aux diverses époques de son histoire : on en profitera d’abord pour établir le sens propre des mots, et ensuite pour découvrir les modifications qu’ils ont subies. Ce second travail n’est pas le moins essentiel : chaque modification met un mot en contact avec de nouveaux synonymes, et lors même qu’elle tombe en désuétude, le mot en conserve l’empreinte ; quelque positif que soit le sens qui lui est définitivement