Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/20

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Il est un autre motif non moins concluant. Si l’on s’obstinait à rester dans les obscurités de l’érudition, à se préparer à l’action sans jamais agir, comment notre histoire descendrait-elle jusqu’au peuple, quel parti l’esprit public pourrait-il tirer d’une gloire cachée sous de poudreux lambeaux, écrasée sous d’énormes décombres ? Une ligne d’Homère n’a-t-elle pas fait plus pour la Grèce que tout le savoir de Pausanias et d’Athénée ?

Partageons-nous équitablement la besogne. Que ceux dont l’âge a déjà refroidi et décoloré la pensée, ceux qu’un goût prononcé, un mérite modeste ou une destinée contraire à leur vocation primitive, ont tenus éloignés de la route brillante qui mène à la gloire, continuent d’amasser des matériaux et de se livrer à des recherches aussi pénibles que nécessaires. Ils obtiendront notre estime à défaut de notre admiration. Une tâche plus noble et plus grande est réservée aux jeunes et fortes intelligences. Ce n’est pas seulement un labeur que l’on attend d’elles, mais une œuvre, ce n’est pas une transcription correcte, une discussion subtile de textes connus ou inédits, mais de l’invention, du génie, quelque chose d’individuel que ne donnent ni les livres ni les manuscrits[1].

D’ailleurs l’existence de l’homme est trop courte pour se débattre constamment dans les ronces et les

  1. Il n’est pas hors de propos de remarquer que celui qui crayonne ces lignes se fait son procès à lui même, et qu’il a sacrifié ses plus belles années à de sérieuses puérilités. Mais il n’a pas été le maître de régler sa vie, et les circonstances lui en ont imposé une qu’il n’eût sans doute pas choisie. (Note de l’auteur.)