Aller au contenu

Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

actuelles, et, en même temps, nous laisser énerver par la douceur de notre condition. Je ne sais, Messieurs, si vous en êtes frappés comme moi ; mais nous flottons continuellement, à mon avis, entre la tentation de nous plaindre pour très peu de chose, et celle de nous contenter à trop bon marché. Nous avons une susceptibilité d’esprit, une exigence, une ambition illimitées dans la pensée, dans les désirs, dans le mouvement de l’imagination ; et quand nous en venons à la pratique de la vie, quand il faut prendre de la peine, faire des sacrifices, des efforts pour atteindre le but, nos bras se lassent et tombent. Nous nous rebutons avec une facilité qui égale presque l’impatience avec laquelle nous désirons. Il faut prendre garde, Messieurs, à ne pas nous laisser envahir par l’un ou l’autre de ces deux défauts. Accoutumons-nous à mesurer ce que nous pouvons légitimement avec nos forces, notre science, notre puissance ; et ne prétendons à rien de plus qu’à ce qui se peut acquérir légitimement, justement, régulièrement, en respectant les principes sur lesquels repose notre civilisation même. Nous semblons quelquefois tentés de nous rattacher à des principes que nous attaquons, que nous méprisons, aux principes et aux moyens de l’Europe barbare, la force, la violence, le mensonge, pratiques habituelles il y a quatre ou cinq siècles. Et quand nous avons cédé à ce désir, nous ne trouvons en nous ni la persévérance, ni l’énergie sauvage des hommes de ces temps-là, qui souffraient beaucoup, et qui, mécontents de leur condition, travaillaient sans cesse à en sortir. Nous sommes contents de la nôtre ; ne la livrons pas aux hasards de désirs vagues,