Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/62

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toire de la civilisation en Europe, depuis quinze siècles, vous verrez à quel point, jusqu’à nos jours, la condition des hommes a été laborieuse, orageuse, dure, non-seulement au dehors et dans la société, mais intérieurement, dans la vie de l’âme. Pendant quinze siècles, l’esprit humain a eu à souffrir autant que l’espèce humaine. Vous verrez que, pour la première fois, peut-être, dans les temps modernes, l’esprit humain est arrivé à un état très imparfait encore, à un état cependant où règne quelque paix, quelque harmonie. Il en est de même de la société ; elle a évidemment fait des progrès immenses ; la condition humaine est douce, juste, comparée à ce qu’elle était antérieurement ; nous pouvons presque, en pensant à nos ancêtres, nous appliquer les vers de Lucrèce :

Suave mari magno, turbantibus æquora ventis,
E terrà magnum alterius spectare laborem,


Nous pouvons même dire de nous, sans trop d’orgueil, comme Sthénélus dans Homère :

Ημτις τοὶ κατέρον μεγἄμεινονες ευχομεθἔιλαι.

« Nous rendons grâce au Ciel de ce que nous valons infiniment mieux que nos devanciers. »

Prenons garde cependant, Messieurs ; ne nous livrons pas trop au sentiment de notre bonheur et de notre amélioration ; nous pourrions tomber dans deux graves dangers, l’orgueil et la mollesse ; nous pourrions prendre une excessive confiance dans la puissance et le succès de l’esprit humain, de nos lumières