Page:Guizot - Histoire générale de la civilisation en Europe, 1838.djvu/95

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des sentiments tout différents ; le besoin de l’indépendance la plus absolue à côté de la soumission la plus entière ; le patronage militaire à côté de la domination ecclésiastique ; le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel partout en présence ; les canons de l’Église, la législation savante des Romains, les coutumes à peine écrites des Barbares ; partout le mélange ou plutôt la coexistence des races, des langues, des situations sociales, des mœurs, des idées, des impressions les plus diverses. C’est là, je crois, une bonne preuve de la vérité du caractère général sous lequel j’ai essayé de vous présenter notre civilisation.

Sans doute, Messieurs, cette confusion, cette diversité, cette lutte, nous ont coûté très-cher, c’est ce qui a fait la lenteur des progrès de l’Europe, les orages et les souffrances auxquelles elle a été en proie. Cependant, je ne crois pas qu’il faille y avoir regret. Pour les peuples comme pour les individus, la chance du développement le plus varié, le plus complet, la chance d’un progrès dans toutes les directions, et d’un progrès presque indéfini, cette chance compense à elle seule tout ce qu’il en peut coûter pour avoir le droit de la courir. À tout prendre, cet état si agité, si laborieux, si violent, a beaucoup mieux valu que la simplicité avec laquelle se présentent d’autres civilisations ; le genre humain y a plus gagné que souffert.

Je m’arrête, Messieurs. Nous connaissons maintenant, sous ses traits généraux, l’état où la chute de l’Empire romain a laissé le monde ; nous connaissons les différents éléments qui s’agitent et se mêlent pour enfanter la civilisation européenne. Nous les verrons