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III

C’était par une folle nuit d’Italie, au mois d’août, a Florence ; le palais ducal était illuminé, le peuple dansait sur les places publiques ; partout c’était des danses, des rires et du bruit, et pourtant la peste avait exercé ses ravages sur Florence et avait décimé ses habitants.

Au palais aussi c’était des danses, des rires et du bruit, mais non de joie, car la peste, la aussi, avait fait ses ravages dans le cœur d’un homme, l’avait comprimé et l’avait endurci, mais une autre peste que la contagion ; le malheur qui étreignait Garcia dans ses serres cruelles le serra si fort qu’il le broya comme le verre du festin entre les mains d’un homme ivre.

Or c’était Cosme de Médicis qui donnait toutes ces réjouissances publiques parce que son fils chéri, François de Médicis, était nommé cardinal ; c’était sans doute pour distraire le peuple des événements sinistres qui le préoccupaient. Pauvre peuple ! que l’on amuse avec du fard et des costumes de théâtre, tandis qu’il agonise. Oh ! c’est que souvent un rire cache une larme ! Peut-être qu’au milieu de la danse, dans le salon du duc, quelqu’un des danseurs allait tomber sur le parquet et se convulsionner, à la lueur des lustres et des glaces. Qui dit que cette jeune femme ne va pas s’évanouir tout à coup ? peut-être son délire commence-t-il ? Tenez, voyez-vous ses mains qui se crispent, ses pieds qui trépignent, ses dents qui claquent ? elle agonise, elle râle, ses mains défaillantes errent sur sa robe de satin, et elle expire dans sa parure de bal.

La fête était resplendissante et belle, Cosme avait appelé tous les savants et les artistes de l’Italie, le cardinal François était au comble de la gloire et des honneurs ; on lui jetait des couronnes, des fleurs, des odes,