Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/142

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En retournant par les rues, sa démarche était lente et pénible, il avait sa figure étrange et stupide, sa tournure grotesque et ridicule ; il avait l’air d’un homme enivré, car il chancelait ; ses yeux étaient à moitié fermés, il avait les paupières rouges et brûlantes ; la sueur coulait sur son front, et il balbutiait entre ses dents, comme un homme qui a trop bu et qui a pris trop de sa part au banquet de la fête.

Sa pensée n’était plus à lui, elle errait comme son corps, sans avoir de but ni d’intention ; elle était chancelante, irrésolue, lourde et bizarre ; sa tête lui pesait comme du plomb, son front le brûlait comme un brasier.

Oui, il était ivre de ce qu’il avait senti, il était fatigué de ses jours, il était soûl de l’existence.

Ce jour-là — c’était un dimanche — le peuple se promenait dans les rues en causant et en chantant. Le pauvre moine écouta leurs causeries et leurs chants ; il ramassa dans la route quelques bribes de phrases, quelques mots, quelques cris, mais il lui semblait que c’était toujours le même son, la même voix, c’était un brouhaha vague, confus, une musique bizarre et bruyante qui bourdonnait dans son cerveau et l’accablait.

— Tiens, disait un homme à son voisin, as-tu entendu parler de l’histoire de ce pauvre curé d’Oviedo, qui fut trouvé étranglé dans son lit ?

Ici c’était un groupe de femmes qui prenaient le frais du soir sur leurs portes ; voici ce qu’entendait Giacomo en passant devant elles :

— Dites donc, Martha, savez-vous qu’il y a eu, à Salamanque, un jeune riche, don Bernardo, vous savez ? celui qui, lorsqu’il vint ici il y a quelques jours, avait une mule noire si jolie et si bien équipée, et qui la faisait piaffer sur les pavés ; eh bien, le pauvre jeune homme, on m’a dit ce matin à l’église, qu’il était mort.