Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/143

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— Mort ? dit une jeune fille.

— Oui, petite, répondit la femme ; il est mort ici, à l’auberge de Saint-Pierre ; d’abord il se sentit mal à la tête, enfin il eut la fièvre, et au bout de quatre jours on le porta en terre.

Giacomo en entendit encore d’autres ; tous ces souvenirs le firent trembler, et un sourire de férocité vint errer sur sa bouche.

Le moine rentra chez lui épuisé et malade ; il se coucha par terre sur le banc de son bureau et dormit. Sa poitrine était oppressée, un son rauque et creux sortait de sa gorge ; il s’éveilla avec la fièvre ; un horrible cauchemar avait épuisé ses forces.

Il faisait nuit alors, et onze heures venaient de sonner à l’église voisine. Giacomo entendit des cris : « Au feu ! au feu ». Il ouvrit ses vitres, alla dans les rues et vit en effet des flammes qui s’élevaient au delà des toits ; il rentra chez lui et il allait reprendre sa lampe pour aller dans ses magasins, quand il entendit devant ses fenêtres des hommes qui passaient en courant et qui disaient : « C’est sur la place Royale, le feu est chez Baptisto ».

Le moine tressaillit, un rire éclatant partit du fond de son cœur, et il se dirigea avec la foule vers la maison du libraire.

La maison était en feu, les flammes s’élevaient, hautes et terribles, et, chassées par les vents, elles s’élançaient vers le beau ciel bleu d’Espagne, qui planait sur Barcelone agitée et tumultueuse, comme un voile sur des larmes.

On voyait un homme à moitié nu, il se désespérait, s’arrachait les cheveux, se roulait par terre en blasphémant Dieu et en poussant des cris de rage et de désespoir, c’était Baptisto.

Le moine contemplait son désespoir et ses cris avec calme et bonheur, avec ce rire féroce de l’enfant riant des tortures du papillon dont il a arraché les ailes.