Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/150

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un fagot qu’elle alluma avec les tisons blanchis qui jetaient encore quelque chaleur dans la cheminée. Aussitôt un feu clair et pétillant éclaira l’appartement, M. Ohmlin retira son manteau, qui laissa voir un homme de taille ordinaire, maigre, mais fort de complexion. Ses joues étaient creuses et pâles, et quand il eut ôté son chapeau, on vit un crâne large et blanc, couvert de peu de cheveux noirs. Il avait l’aspect sérieux et réservé, sa barbe noire lui donnait un aspect triste et sombre, tempéré par un sourire bienveillant qui régnait sur ses lèvres.

Il s’assit, mit ses pieds sur les chenets et caressa un de ces beaux chiens des Alpes assis à ses côtés ; l’animal regardait tristement son maître et lui léchait ses mains humides, rougies par le froid.

— Eh bien, comment ça va-t-il ? dit Berthe en se rapprochant, vos dents ?

— Mal, Berthe, oh ! bien mal ! cet air froid des montagnes me fait souffrir ; il y a quatre nuits que je n’ai fermé l’œil, ce n’est pas cette nuit que je dormirai.

— Ici, Fox ! (c’était le nom du chien favori qui était étendu aux pieds du médecin).

Fox se mit à faire entendre ce son singulier et traînard que Berthe avait entendu lorsqu’il était arrivé avec son maître.

— Tais-toi, Fox, tais-toi !

La pauvre bête se mit à geindre, comme quelqu’un qui souffre ou qui pleure.

— Tais-toi, Fox, poursuivit Berthe, tais-toi !

Et elle le repoussa rudement du pied.

— Pourquoi veux-tu le faire taire ? dit M. Ohmlin, il est de mauvaise humeur ; dame ! c’est tout simple, il est fatigué et il a faim.

— Tiens ! dit Berthe en lui jetant un morceau de pain, qu’elle alla chercher dans une armoire placée à côté de la cheminée, tiens !