Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/151

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Fox vit le pain d’un œil terne et humide, tourna sa belle tête noire vers son maître et le regarda tristement.

— Pauvre bête, dit-il, qu’as-tu ?

— C’est signe de malheur, dit Berthe ; Dieu et saint Maurice nous en préservent !

— Vieille folle ! il est malade.

— Avez-vous faim ? Que voulez-vous ?

— Moi, oh ! rien, je vais dormir s’il m’est possible, ou plutôt non, j’ai encore quelques pilules d’opium, je vais en essayer ; adieu, Berthe, éteins le feu et dors bien, ma brave fille. Quant à toi, Fox, à la niche !

Et il ouvrit la porte qui donnait sur la cour. Fox n’obéit point, il se coucha par terre et se traîna aux pieds de M. Ohmlin ; celui-ci, impatienté, le laissa et monta précipitamment dans sa chambre, il se coucha même avec le frisson de la fièvre, avala son opium et s’endormit dans des rêves d’or.

Quant à Berthe, elle dormait profondément et était pourtant réveillée quelquefois par les gémissements plaintifs du pauvre Fox, qui était resté dans l’escalier. La neige avait diminué, les nuages s’étaient évanouis et la lune commençait à se montrer derrière les sommets du mont Pilate.

Le matin, vers les neuf heures, la vieille Berthe s’éveilla, fit sa prière et descendit dans la salle ; la porte n’était point ouverte, elle s’en étonna : « Comme il dort aujourd’hui, le pauvre homme ! se dit-elle, probablement il va bientôt sortir », mais aussitôt maître Bernardo arriva ; c’était un médecin des environs.

— Où est-il ? dit-il en entrant.

— Dans sa chambre, je pense ; allez voir, il dort encore.

Celui-ci monta et entra sans cérémonie en criant :

— Allons ! levez-vous donc ! il est tard.

M. Ohmlin ne répondit pas, sa tête était penchée