Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/167

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que de fois il passa des nuits entières à se promener dans les bois, à entendre le bruit des flots sur la plage, à sentir l’odeur des varechs qui noircissent les rochers ! Que de nuits il passa appuyé sur un roc et promenant dans l’immensité sa pensée qui volait vers les nues !

Mais toute cette nature, la mer, les bois, le ciel, tout cela était petit et misérable ; les fleurs ne sentaient rien sur ses lèvres ; nue, la femme était pour lui sans beauté, le chant sans mélodie, la mer sans terreur.

Il n’avait point assez d’air pour sa poitrine, point assez de lumière pour ses yeux et d’amour pour son cœur.

L’ambition ? un trône ? de la gloire ? jamais il n’y pensa. La science ? les temps passés ? mais il savait l’avenir, et dans cet avenir il n’avait trouvé qu’une chose qui le faisait sourire de temps en temps, en passant devant un cimetière.

Aurait-il craint Dieu, lui qui se sentait presque son égal et qui savait qu’un jour viendrait aussi, ou le néant emporterait ce Dieu comme ce Dieu l’emportera un jour. L’aurait-il aimé, lui qui avait passé tant de siècles à le maudire ?

Pauvre cœur ! comme tu souffrais, gêné, déplacé de ta sphère et rétréci dans un monde comme l’âme dans le corps.

Souvent un instinct moqueur de lui-même lui portait une coupe à ses lèvres, le vin les effleurait sans qu’un sourire vînt les dilater, et puis il s’apercevait qu’il avait fait quelque chose de fade et d’inutile ; il prenait une rose et la retirait bien vite comme une épine. Un jour il voulut être musicien, il avait une idée sublime, étrange, fantastique, que n’auraient peut-être pas comprise les hommes, mais pour laquelle se serait damné Mozart, une idée de génie, une idée d’enfer, quelque chose qui rend malade, qui irrite et qui tue. Il commença, la foule éperdue trépignait,