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CHEVRIN
ET LE ROI DE PRUSSE

ou
L’ON PREND SOUVENT LA TÊTE D’UN ROI
POUR CELLE D’UN ÂNE

Votre grand-père ne vous a-t-il jamais parlé de Frederick, roi de Prusse ? C’était un grand homme sec et courbé, à cheveux poudrés, et qui s’appuyait toujours sur une longue canne de jonc ; le collet de son habit vert, qu’il ne brossait jamais, de son habit vert tout râpé et qui l’avait accompagné à la conquête de la Poméranie, était encore rendu plus sale par une longue queue de cheveux qui lui tombait au milieu du dos. Eh bien, cet homme, d’un génie si vaste et qui, à ce qu’il semble, ne devait s’occuper que de conquêtes et de batailles, avait encore le temps non seulement d’écrire à Voltaire, oh ! cela vous le savez, mais encore de plaisanter avec ses courtisans.

Un jour il appela Chevrin, lui remit une petite boîte en lui disant affectueusement :

— Chevrin, je t’ai toujours connu comme un ami fidèle, voici un gage de ma reconnaissance.

Vous voudriez bien savoir ce que c’était que cette boîte ; un moment, je vais vous le dire.

Elle était petite, de bois de palissandre, incrustée d’or et ornée de pierres précieuses.

Chevrin l’emporte chez lui, l’ouvre avec impatience et voit non son brevet de général, non quelques billets