Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/190

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penchait sur la rampe de fer et humait avec délices l’air frais de la nuit. Il entendit ce même bruit de pattes fines et légères sur les carreaux de son fourneau, il se retourna. C’était Satan, mais, cette fois, plus hideux et plus pâle encore ; ses flancs étaient amaigris, et sa gueule béante laissait voir des dents verdâtres comme l’herbe des tombeaux.

— Eh bien, Satan, lui dit Arthur, eh bien, est-il vrai maintenant que j’aime quelqu’un ? crois-tu que j’aie été ému par ces cris, par ces larmes et par ces convulsions forcées ?

— Vraiment, lui répondit le démon en frémissant sur ses quatre pattes, vraiment tu es donc bien insensible ! et tu l’as laissée mourir ?

— Elle est morte ? dit Arthur en le regardant froidement.

— Non ; mais elle t’attend.

— Elle m’attend ?

— Oui, sur la falaise. Ne lui avais-tu pas promis ? il y a longtemps qu’elle y est, elle t’attend.

— Eh bien, j’irai.

— Tu iras ? eh bien, Arthur, je ne te demande que cette dernière grâce ; après, tu feras de moi tout ce qu’il te plaira, je t’appartiens.

— Et que veux-tu que je fasse ?

— Crois-tu que je tienne beaucoup à ton âme, moi ? tu l’aimeras, te dis-je… Arthur, ne m’as-tu pas dit que tu voudrais avoir des passions, un amour fort et brûlant, étranger des autres amours ? eh bien, tu l’auras, cet amour… mais moi, à mon tour, n’est-ce pas ? tu me donneras ton âme ?

— Je n’en ai pas.

— Tu le crois, mais tu en as une, car tu es un homme puisque tu aimeras.

Satan était habitué à voir tant d’orgueil et de vanité qu’il ne croyait qu’à cela ; le malheur ne voit que le vice, l’affamé ne sent que la faim.