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DERNIÈRE SCÈNE
DE LA MORT
DE MARGUERITE DE BOURGOGNE.

Connaissez-vous la Normandie, ce beau pays si rempli de vieux castels dont chacun éveille le souvenir d’un nom célèbre ? la Normandie, où chaque champ a eu sa bataille, chaque pierre son nom ? la Normandie si remplie de vieilles légendes, de contes fantastiques, de traditions populaires qui tous se rattachent à quelques lambeaux de notre histoire du moyen âge ?

Eh bien, sur les bords de la Seine, les ruines du Château-Gaillard sont encore la debout, sur le roc, et semblent se rire, à la face de chaque génération qui naît et qui meurt, des sept siècles qui, en passant, n’ont fait que lui arracher petit à petit quelques pierres qui roulent dans le ravin quand l’ouragan gronde et que la pluie tombe.

Alors, en 1316, il était jeune encore. Au haut, c’était son drapeau blanc dont les flots se roulaient au souffle du vent ; à l’intérieur les gardes, et au bas, dans un cachot, une femme qui gémissait et regardait le soleil couchant d’un air d’adieu, de rage et de désespoir.

Elle était jeune encore, cette femme, vingt-six ans ; vingt-six ans, et pas un sourire à la bouche ; vingt-six ans, et peut-être le nombre de ses crimes surpassait-il celui de ses jours !

Vingt-six ans ! et c’était la Marguerite de Bourgogne, la Marguerite aux orgies sanglantes à la tour de Nesle ; Marguerite, la femme aux nuits d’insomnie,