Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/215

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avait une ; en outre, le mariage le forcera à rester chez lui, et sa santé ne s’en trouvera que mieux ; il aura une excuse pour ne plus aller à la chasse, et la chasse l’ennuie ; enfin, la meilleure de toutes les raisons, il aura de l’amour, du dévouement, du bonheur domestique, de la tranquillité, des enfants… bah ! bien mieux que tranquillité, bonheur, amour, cinquante mille livres de rente en bonnes fermes, en jolis billets de banque qu’il placera sur les fonds d’Espagne.

Il avait été à Paris, avait acheté une corbeille de 10,000 francs, avait fait cent vingt invitations pour le bal, et était revenu au château de sa belle-mère, le tout en huit jours ; c’était un homme prodigieux.

C’était donc par un dimanche de septembre que la noce eut lieu. Ce jour-là, il faisait humide et froid, un brouillard épais pesait sur la vallée, le sable du jardin s’attachait aux frais souliers des dames.

La messe se dit à 10 heures, peu de monde y assista, Djalioh s’y laissa pousser par le flot des villageois et entra ; l’encens brûlait sur l’autel, on respirait à l’entour un air chaud et parfumé. L’église était basse, ancienne, petite, barbouillée de blanc ; le conservateur intelligent en avait ménagé les vitraux. Tout autour du chœur il y avait les conviés, le maire, son conseil municipal, des amis, le notaire, un médecin et les chantres en surplis blancs. Tout cela avait des gants blancs, un air serein, chacun tirait de sa bourse une pièce de 5 francs, dont le son argentin tombant sur le plateau interrompait la monotonie des chants d’église ; la cloche sonnait.

Djalioh se ressouvint de l’avoir entendue, un jour, chanter aussi sur un cercueil ; il avait vu également des gens vêtus de noir prier sur un cadavre. Et puis, portant ses regards sur la fiancée en robe blanche, courbée à l’autel, avec des fleurs au front et un triple collier de perles sur sa gorge nue et ondulante, une horrible pensée le glaça tout à coup, il chancela