Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/217

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gaieté ; à quoi faut-il donc croire ? Croyez à la tombe, son asile est inviolable et son sommeil est profond.

Quel gouffre s’élargit sous nous à ce mot : éternité ! Pensons un instant à ce que veulent dire ces mots : vie, mort, désespoir, joie, bonheur ; demandez-vous, un jour que vous pleurerez sur quelque tête chère et que vous gémirez la nuit sur un grabat d’insomnie, demandez-vous pourquoi nous vivons, pourquoi nous mourrons, et dans quel but ? à quel souffle de malheur, à quel souffle du désespoir, grains de sable que nous sommes, nous roulons ainsi dans l’ouragan ? Quelle est cette hydre qui s’abreuve de nos pleurs et se complaît à nos sanglots ? pourquoi tout cela ?… et alors le vertige vous prend et l’on se sent entraîné vers un gouffre incommensurable, au fond duquel on entend vibrer un gigantesque rire de damné.

Il est des choses dans la vie et des idées dans l’âme qui vous attirent fatalement vers les régions sataniques, comme si votre tête était de fer et qu’un aimant de malheur vous y entraînât.

Oh ! une tête de mort ! ses yeux caves et fixes, la teinte jaune de sa surface, sa mâchoire ébréchée, serait-ce donc là la réalité, et le vrai serait-il le néant ?

C’est dans cet abîme sans fond du doute le plus cuisant, de la plus amère douleur, que se perdait Djalioh. En voyant cet air de fêtes, ces visages riants, en contemplant Adèle, son amour, sa vie, le charme de ses traits, la suavité de ses regards, il se demanda pourquoi tout cela lui était refusé, semblable à un condamné qu’on fait mourir de faim devant des vivres et que quelques barreaux de fer séparent de l’existence. Il ignorait aussi pourquoi ce sentiment-là était distinct des autres, car autrefois, si quelqu’un, dans la chaude Amérique, venait lui demander une place à l’ombre de ses palmiers, un fruit de ses jardins, il l’offrait ; pourquoi donc, se demandait-il, l’amour que j’ai pour