Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/236

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vert, une tige polie, et qui se miraient par derrière dans une grande glace.

Enfin il s’approcha de la jeune femme et s’assit à côté d’elle. Elle tressaillit subitement et porta sur lui ses yeux bleus égarés ; sa robe de chambre, de mousseline blanche, était flottante, ouverte sur le devant, et ses deux jambes croisées dessinaient, malgré ses vêtements, la forme de ses cuisses. Il y avait tout autour d’elle un parfum enivrant ; ses gants blancs, jetés sur le fauteuil avec sa ceinture, son mouchoir, son fichu, tout cela avait une odeur si délicieuse et si particulière que les grosses narines de Djalioh s’écartèrent pour en aspirer la saveur.

Oh ! il y a à côté de la femme qu’on aime une atmosphère embaumée qui vous enivre.

— Que me voulez-vous ? dit-elle avec effroi, aussitôt qu’elle l’eut reconnu.

Et il s’ensuivit un long silence ; il ne répondit pas et fixa sur elle un regard dévorant, puis, se rapprochant de plus en plus, il prit sa taille de ses deux mains et déposa sur son cou un baiser brûlant qui sembla pincer Adèle comme la morsure d’un serpent ; il vit sa chair rougir et palpiter.

— Oh ! je vais appeler au secours, s’écria-t-elle avec effroi. Au secours ! au secours ! Oh ! le monstre ! ajouta-t-elle en le regardant.

Djalioh ne répondit pas, seulement il bégaya et frappa sa tête avec colère. Quoi ! ne pouvoir lui dire un mot ! ne pouvoir énumérer ses tortures et ses douleurs, et n’avoir à lui offrir que les larmes d’un animal et les soupirs d’un monstre ! Et puis être repoussé comme un reptile ! être haï de ce qu’on aime et sentir devant soi l’impossibilité de rien dire ! être maudit et ne pouvoir blasphémer !

— Laissez-moi, de grâce ! laissez-moi ! est-ce que vous ne voyez pas que vous me faites horreur et dégoût ? le vais appeler Paul, il va vous tuer.