Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/235

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larmes contenues y avaient creusé une fosse profonde.

Un matin, c’était ce jour-là dont je vous parle, il se leva et sortit dans le jardin où un enfant d’un an environ, entouré de mousseline, de gazes, de broderies, d’écharpes coloriées, dormait dans un berceau en nacelle dont la flèche était dorée aux rayons du soleil.

Sa bonne était absente, il regarda de tous côtés, s’approcha près, bien près du berceau, ôta vivement la couverture, puis il resta quelque temps a contempler cette pauvre créature sommeillante et endormie, avec ses mains potelées, ses formes arrondies, son cou blanc, ses petits ongles ; enfin il le prit dans ses deux mains, le fit tourner en l’air sur sa tête, et le lança de toutes ses forces sur le gazon, qui retentit du coup. l’enfant poussa un cri, et sa cervelle alla jaillir à dix pas auprès d’une giroflée.

Djalioh ouvrit ses lèvres pâles, et poussa un rire forcé qui était froid et terrible comme celui des morts. Aussitôt il s’avança vers la maison, monta l’escalier, ouvrit la porte de la salle à manger, la referma, prit la clef, celle du corridor également, et, arrivé au vestibule du salon, il les jeta par la fenêtre dans la rue. Enfin il entra dans le salon, doucement, sur la pointe des pieds, et une fois entré il ferma la serrure à double tour. Un demi-jour l’éclairait à peine, tant les persiennes, soigneusement fermées, laissaient entrer peu de lumière.

Djalioh s’arrêta, et il n’entendit que le bruit des feuillets que retournait la main blanche d’Adèle, étendue mollement sur un sofa de velours rouge, et le gazouillement des oiseaux de la volière qui était sur la terrasse et dont on entendait, à travers les jalousies vertes, les battements d’ailes sur le treillage en fer. Dans un coin du salon, à côté de la cheminée, était une jardinière en acajou toute remplie de fleurs embaumantes, roses blanches, bleues, hautes ou touffues, avec un feuillage