Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/414

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et qui va l’atteindre, ses genoux plient sous lui, ses ongles qui s’accrochaient aux sinuosités de la roche se retournèrent en dehors… Il tomba à la renverse. Que faire maintenant ?

Il a faim, il a froid, il a soif, le vent siffle dans l’immense désert rouge, et la lune s’obscurcit dans les nuages.

Il se mit à pleurer et à avoir peur comme un enfant ; il pleura sur ses parents qui mourront de douleur, et il eut peur des bêtes féroces.

« Car, se disait-il, il fait nuit, je suis malade, les tigres vont venir me déchirer. »

Il attendit longtemps quelqu’un qui voulût le secourir, mais les tigres vinrent, le déchirèrent et burent son sang.

Eh bien, je vous le dis, il en est de même de vous autres qui voulez conquérir la liberté ; découragés de vos efforts, vous attendrez quelqu’un pour vous aider.

Mais quelqu’un ne viendra pas… oh ! non.

Et les tigres viendront, vous déchireront et boiront votre sang comme celui du pauvre voyageur.

XIV

Oh ! oui, la misère et le malheur règnent sur l’homme !

Oh ! la misère ! la misère ! vous ne l’avez peut-être jamais ressentie, vous qui parlez sur les vices des pauvres. C’est quelque chose qui vous prend un homme, vous l’amaigrit, vous l’égorge, l’étrangle, le dissèque et puis après elle jette ses os à la voirie ; quelque chose de hideux, de jaune, de fétide, qui se cache dans un taudis, dans un bouge, sous l’habit d’un poète, sous les haillons du mendiant. La misère ? c’est l’homme aux longues dents blanches, qui vient vous dire avec sa voix sépulcrale, le soir, dans l’hiver,