Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/471

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et sur la nature de Dieu, sur les saisons, sur le froid, sur le chaud ; mais tout cela ne lui donne ni un manteau, ni une paire de bottes… ni son bonheur qu’il a perdu.

Et tous vous diront qu’ils sont supérieurs ; ils diront qu’il vaut mieux vendre sa conscience et son corps pour servir aux intrigues, aux crimes, pour qu’on vous foule la tête comme un marchepied, que cela enfin est plus noble que de s’endormir ivre de vin sur le plancher d’un cabaret, un lieu, disent-ils, où le premier entré est acheté. Comme si le monde aussi n’était pas qu’un lieu vénal, où tout se vend, où ceux qui ont de l’or entrent et puisent à flots : amours, voluptés, richesses, honneurs, empires, gloires, triomphes.

Sans doute la fille de joie, parée tout le jour sur le seuil de sa porte, comme un morceau de viande à l’étal du boucher ; sans doute le ministre maigre de soucis, ce chien de cour dansant, gambadant et se pliant pour amuser son maître, le banquier couché sur des tas d’or comme Job sur son fumier de corruption, le philanthrope froid comme la pierre d’un hôpital, le poète si creux d’idées, si rempli de vanité et d’une folie orgueilleuse qu’on appelle le génie ; sans doute la vénalité, la richesse, la prostitution, la débauche, tout ce qu’on appelle le monde enfin, vous dira qu’il est noble ; tous vous diront qu’ils ont une âme, une âme pure, âme qui glisse sur les parquets, qui filtre sur les lambris dorés des palais, qui nage dans l’atmosphère des grandes villes, âme sur laquelle on marche, âme qu’on foule aux pieds, qu’on vend aux boutiques, âme à tant pour l’acheteur, âme de femme et de poète qui se vend pour la vanité, âme de roi pour la tyrannie, âme de ministre pour l’ambition, âme de pauvre pour l’or — l’or est noble, sa noblesse est vieille comme le monde ; — sans doute il faut mieux détruire des populations entières que les