Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/479

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C’était dans cette cour que dormait Hugues, transporté, par les soins de sa femme, sous un arbre touffu où il continua son rêve, tandis que les gens d’église étaient venus chercher le mort, l’avaient transporté tout couvert de ses haillons jusqu’au presbytère, l’avaient lavé, soigné, et bref lui avaient donné en dernier lieu un court office, afin qu’il pût passer légalement dans l’autre monde et être mort comme on doit mourir.

Cet homme avait des amis, on le suivit jusqu’à son lit de pierre.

Dans les villages il n’y a ni char ni chevaux, on porte la bière sur un brancard. Rymbaud fut porté sous un simple drap noir, qui cache toujours le corps qu’on porte, sa laideur, sa beauté, ce sourire qu’on achetait aux laquais et toutes les souillures enfin qui l’ornèrent.

Derrière, suivaient les hommes du pays, sur plusieurs rangs ; les premiers avaient la tête découverte parce qu’il faisait chaud, et les autres leurs chapeaux parce qu’ils n’avaient plus de cheveux, tous parlant à voix basse de leurs affaires, de leurs bestiaux, de leurs moissons, concluant des marchés, et le plus petit nombre était recueilli parce qu’il n’avait rien à dire.

Des deux côtés du cercueil, deux vieilles femmes en capuchon noir, avec des vêtements de deuil, portant sous un bras un gros pain et de l’autre main un cierge qui brûlait.

Devant marchait le prêtre, répétant les derniers adieux pour les morts, le sacristain en robe noire, avec sa latte de baleine aux bouts d’argent, chantant plus bas que son maître, puis quelques enfants de chœur avec leurs gros souliers, leurs bas rouges, leurs robes blanches, des cheveux blonds s’échappant de dessous leur calotte rouge.

Le plus grand d’eux portait un crucifix d’argent au bout d’un bâton teint en pourpre, et chantant à plaisir, tout fier de porter le bon Dieu et de marcher en tête.