Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/50

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tel, personne de vous ne songe à Armagnac ! personne ne songe qu’il faut nous délivrer du Bourguignon ! N’est-ce pas, Monseigneur le Dauphin, qu’il est bien plus aisé de faire la cour à la dame Agnès ? n’est-ce pas, Pierre de Haute Combe, que la bière de Flandre est meilleure que le sang du duc ? n’est-ce pas, Raoul de Rochepeau, qu’une plaisanterie sur l’ennemi, prononcée derrière et comme un lâche, coûte moins cher qu’une insulte en face ? n’est-ce pas, marquis de Lyon, qu’un coup de dé est plus facile à donner qu’un coup d’estramaçon ? n’est-ce pas, Robert de Brie, qu’il est bien plus amusant d’étendre la mèche pour y voir mieux que de fouiller la poitrine d’un homme pour en avoir son cœur ? Ah, je ne vous reconnais plus là, mes amis, mes fidèles compagnons ! Quoi ! vous laissez ainsi blanchir les os de Bocherville sans les venger ? Eh ! que savez-vous, vous autres, si la vue du cadavre de Jean sans Peur ne fera pas tressaillir dans son lit de marbre Armagnac rêvant ? Que savez-vous si, en arrosant du sang du Bourguignon ces mêmes os altérés, vous ne leur rendrez pas la vie avec la vengeance ? Oui, je le jure par le corps de notre ami, je jure de le venger ! Cet engagement solennel je l’ai recueilli avec son dernier soupir, je le renouvelle sur sa tombe : la tombe d’un autre m’en détachera seule.

— Oui, nous voulons bien, dit le Dauphin.

— Le plus tôt sera le mieux, ajouta Robert.

— Eh bien, à Montereau, par exemple, proposez une entrevue, Monseigneur.

— Oh ! une entrevue, messieurs ? et croyez-vous qu’ainsi la bête fauve viendra se mettre dans le piège ?

— Il faut un appât.

— Soit ! Nous avons dit l’entrevue ?

— Mais il faut un esprit qui le pousse vers cet appât.

— Gagner quelqu’un de sa suite pour le convaincre.