Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/529

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être las d’exister, tout appellera une destruction totale. Cette idée de quelque chose sans fin nous fait pâlir hélas ! et nous serons là-dedans, nous autres qui vivons maintenant, et cette immensité nous roulera tous. Que serons-nous ? un rien, pas même un souffle.

J’ai longtemps pensé aux morts dans les cercueils, aux longs siècles qu’ils passent ainsi sous la terre pleine de bruits, de rumeurs et de cris, eux si calmes, dans leurs planches pourries dont le morne silence est interrompu parfois, soit par un cheveu qui tombe ou par un ver qui glisse sur un peu de chair. Comme ils dorment là, couchés, sans bruit, sous la terre, sous le gazon fleuri !

Cependant, l’hiver, ils doivent avoir froid sous la neige.

Oh ! s’ils se réveillaient alors, s’ils venaient à revivre et qu’ils vissent toutes les larmes dont on a paré leur drap de mort taries, tous ces sanglots étouffés, toutes les grimaces finies, ils auraient horreur de cette vie qu’ils ont pleurée en la quittant, et ils retourneraient vite dans le néant si calme et si vrai.

Certes, on peut vivre et mourir même, sans s’être demandé une seule fois ce que c’est que la vie et que la mort ; mais pour celui qui regarde les feuilles trembler au souffle du vent, les rivières serpenter dans les prés, la vie se tourmenter et tourbillonner dans les choses, les hommes vivre, faire le bien et le mal, la mer rouler ses flots et le ciel dérouler ses lumières, et qui se demande : pourquoi ces feuilles ? pourquoi l’eau coule-t-elle ? pourquoi la vie elle-même est-elle un torrent si terrible et qui va se perdre dans l’océan sans bornes de la mort ? pourquoi les hommes marchent-ils, travaillent-ils comme des fourmis ? pourquoi la tempête ? pourquoi le ciel si pur et la terre si infâme ? Ces questions mènent à des ténèbres d’où l’on ne sort pas.

Et le doute vient après ; c’est quelque chose qui ne