Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/87

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une femme avec ses enfants, un lion rugissant dans sa cage, une morgue et un cadavre sur la dalle humide ; et il entendait le sifflement des monstres, le bruit de l’or résonnant sur les tables ; il voyait les larmes de cette femme et de ses enfants, il entendait le rugissement du lion, il sentait l’odeur cadavéreuse de ce corps déjà verdâtre. Il le regarda longtemps, puis le nuage prit une autre forme ; il eut peur, se mit à courir, n’osant regarder derrière lui, et quand il arriva à sa tente, il était haletant, hors d’haleine et ses traits étaient bouleversés.

Marguerite était sur sa porte à l’attendre.

Elle n’osa rien lui demander, car elle comprit assez, elle dont le malheur avait plus d’une fois coupé son âme, elle comprit la sueur qui coulait de son visage ; elle vit pourquoi ses yeux étaient rongés de colère, elle devina les choses qu’il pensait, à travers la pâleur de son front, et elle savait ce que voulaient dire ses claquements de dents.

Ils restèrent tous deux ainsi, sans rien dire, sans se communiquer ni leurs peines ni leur désespoir, mais leurs yeux pourtant avaient parlé et s’étaient dit des pensées tristes et déchirantes.

Le lendemain, quand les enfants s’éveillèrent, Pedrillo leur ordonna de faire leurs paquets, lui-même défit sa tente, la plia dans la voiture, et à 9 heures du matin, tirée par la rossaille, la carriole roulait lentement sur le pavé. La pluie n’avait pas cessé depuis la veille, elle venait battre sur les parois de bois de la voiture ; son bruit régulier, avec celui du vent et le mouvement des soupentes, endormirent peu à peu les baladins entassés sur leurs toiles et leurs costumes de parade.

Déjà tous, les yeux fermés, se laissaient balancer par les secousses, lorsque Ernesto, qui conduisait le cheval, rencontra deux voitures qui portaient une ménagerie.