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SAN PIETRO ORNANO.

(histoire corse.)

I

Une superbe frégate à la taille élancée et svelte entrait à voiles déployées dans le port de Gênes. Tout en elle indiquait la maîtresse et la souveraine, jusqu’à sa flamme blanche qui se laissait flotter à la brise du soir avec orgueil et majesté.

L’on voyait sur le gaillard d’arrière un homme qui paraissait le maître, quoiqu’il ne prît aucune part à la manœuvre ; son costume était à moitié grec et italien ; la tête, belle et fière, était entourée de longs cheveux qui venaient s’appuyer en boucles sur ses épaules nues et basanées ; un riche poignard et un long cimeterre pendaient à sa ceinture blanche et bleue, et dont le nœud doré, tombant jusqu’à terre, venait de temps en temps essuyer sur ses sandales rouges, un peu de cendre échappée de sa large pipe de jonc.

Enfin le navire s’était arrêté. Ornano en descendit ; son regard était hautain, et il semblait mépriser toute cette multitude qui montrait du doigt, avec respect et crainte, un homme qui, naguère paysan de Corse aux mains pleines de goudron, n’avait eu d’autre éducation que celle de dompter la tempête, de faire sauter une sainte-barbe, ou de bombarder une ville ; un homme qui n’avait d’autre nom que Pietro Ornano, d’autre seigneurie que sa frégate et d’autres sujets que ses marins. Mais ce paysan, ce corsaire, cet homme aux manières rustiques et sauvages, venait dans Gênes