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Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/159

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chirer, quoique l’enveloppe qui la renferme soit calme et bienheureuse ? Voyez comme elle s’abîme dans le septicisme universel, dans cet ennui morne qui a pris notre race au berceau, tandis que la politique bégaye, que les poètes à peine ont le temps de cadencer leur pensée et qu’ils la jettent à demi écrite sur une feuille éphémère, et que la balle homicide éclate dans chaque grenier ou dans chaque palais qu’habitent la misère, l’orgueil, la satiété !

Les questions matérielles sont résolues. Les autres le sont-elles ? Je vous le demande. Dites-le-moi. Et tant que vous n’aurez pas comblé cet éternel gouffre béant que l’homme a en lui, je me moque de vos efforts, et je ris à mon aise de vos misérables sciences qui ne valent pas un brin d’herbe.

Vienne donc maintenant un homme comme Rabelais ! Qu’il puisse se dépouiller de toute colère, de toute haine, de toute douleur ! De quoi rira-t-il ? Ce ne sera ni des rois, il n’y en a plus ; ni de Dieu, quoiqu’on n’y croie pas, cela fait peur ; ni des jésuites, c’est déjà vieux.

Mais de quoi donc ?

Le monde matériel est pour le mieux, ou du moins il est sur la voie.

Mais l’autre ? Il aurait beau jeu. Et si le poète pouvait cacher ses larmes et se mettre à rire, je vous assure que son livre serait le plus terrible et le plus sublime qu’on ait fait.


NOTE.

Cette étude sur Rabelais a paru pour la première fois dans Par les Champs et par les Grèves, Paris, Charpentier, éditeur, 1886. Le manuscrit n’est pas daté, mais une allusion y est faite dans la Correspondance en 1839.