Placée entre ces deux figures, celle de Gargantua est plus vague, moins précise. Les formes en sont plus amples, plus lâchées, plus grandioses. Gargantua est moins glouton, moins sensuel que Falstaff, moins paresseux que Sancho, mais il est plus buveur, plus rieur, plus criard. Il est terrible et monstrueux dans sa gaieté.
[1]Au reste, Rabelais est une longue étude à faire, il faut le connaître tout en entier pour l’apprécier, des analyses et des extraits le mutilent et le gâtent ; c’est en l’approfondissant que l’on verra tout ce qu’il y a de sève, de vigueur, d’imagination, de génie sous cette forme triviale et grossière, on s’étonnera de tant de diamants ensevelis, des forces de l’Hercule sous l’habit du bouffon.
Une dernière réflexion qui termine. Rabelais n’a sondé que la société telle qu’elle pouvait être de son temps. Il a dénoncé des abus, des ridicules, des crimes, et, que sais-je, entrevu peut-être un monde politique meilleur, une société tout autre. Ce qui existait de lui faisait pitié, et, pour employer une expression triviale, le monde était farce. Et il l’a tourné en farce.
Depuis lui, qu’est-ce qu’on a fait ? Tout est changé. La réforme est venue. Indépendance de la pensée. La Révolution est venue. Indépendance matérielle.
Et encore ?
Mille questions ont été retournées, sciences, arts, philosophies, théories, que de choses seulement depuis vingt ans ! Quel tourbillon ! Où nous mènera-t-il ?
Voyez donc : où êtes-vous ? Est-ce le crépuscule ? est-ce l’aurore ? Vous n’avez plus de christianisme. Qu’avez vous donc ? des chemins de fer, des fabriques, des chimistes, des mathématiciens. Oui, le corps est mieux, la chair souffre moins, mais le cœur saigne toujours. L’âme, l’âme, la sentez-vous se dé-
- ↑ Inédit, lignes 8 à 16