Je repensais toujours à ce que j’avais fait, et je fus pris d’une indéfinissable tristesse, j’étais plein de dégoût, j’étais repu, j’étais las. « Mais ce matin même, me disais-je, ce n’était pas comme cela, j’étais plus frais, plus heureux, à quoi cela tient-il ? » et par l’esprit je repassais dans toutes les rues où j’avais marché, je revis les femmes que j’avais rencontrées, tous les sentiers que j’avais parcourus, je retournai chez Marie et je m’arrêtai sur chaque détail de mon souvenir, je pressurai ma mémoire pour qu’elle m’en fournît le plus possible. Toute ma soirée se passa à cela ; la nuit vint et je demeurai fixé, comme un vieillard, à cette pensée charmante, je sentais que je n’en ressaisirais rien, que d’autres amours pourraient venir, mais qu’ils ne ressembleraient plus à celui-là, ce premier parfum était senti, ce son était envolé, je désirais mon désir et je regrettais ma joie.
Quand je considérais ma vie passée et ma vie présente, c’est-à-dire l’attente des jours écoulés et la lassitude qui m’accablait, alors je ne savais plus dans quel coin de mon existence mon cœur se trouvait placé, si je rêvais ou si j’agissais, si j’étais plein de dégoût ou plein de désir, car j’avais à la fois les nausées de la satiété et l’ardeur des espérances.
Ce n’était donc que cela, aimer ! ce n’était donc que cela, une femme ! Pourquoi, ô mon Dieu, avons-nous encore faim alors que nous sommes repus ? pourquoi tant d’aspirations et tant de déceptions ? pourquoi le cœur de l’homme est-il si grand, et la vie si petite ? il y a des jours où l’amour des anges même ne lui suffirait pas, et il se fatigue en une heure de toutes les caresses de la terre.
Mais l’illusion évanouie laisse en nous son odeur de fée, et nous en cherchons la trace par tous les sentiers où elle a fui ; on se plaît à dire que tout n’est pas fini de sitôt, que la vie ne fait que de commencer, qu’un monde s’ouvre devant nous. Aura-t-on, en effet,