cantique, ils reprenaient à leur tour, leur voix me soulevait l’âme, et quand elle s’éteignait, ma jouissance expirait avec elle, et puis s’élançait de nouveau quand ils recommençaient. Je prononçai les vœux ; tout ce que je me rappelle, c’est que je parlais de robe blanche et d’innocence.
Marie s’arrêta ici, perdue sans doute dans l’émouvant souvenir par lequel elle avait peur d’être vaincue, puis elle reprit en riant d’une manière désespérée :
— Ah ! la robe blanche ! il y a longtemps qu’elle est usée ! et l’innocence avec elle ! Où sont les autres maintenant ? il y en a qui sont mortes, d’autres qui sont mariées et ont des enfants ; je n’en vois plus aucune, je ne connais personne. Tous les jours de l’an encore, je veux écrire à ma mère, mais je n’ose pas, et puis bah ! c’est bête, tous ces sentiments-là !
Se raidissant contre son émotion, elle continua :
— Le lendemain, qui était encore un jour de fête, un camarade vint pour jouer avec moi ; ma mère me dit : « Maintenant que tu es une grande fille, tu ne devrais plus aller avec les garçons », et elle nous sépara. Il n’en fallut pas plus pour me rendre amoureuse de celui-là, je le recherchais, je lui fis la cour, j’avais envie de m’enfuir avec lui de mon pays, il devait m’épouser quand je serais grande, je l’appelais mon mari, mon amant, il n’osait pas. Un jour que nous étions seuls, et que nous revenions ensemble du bois où nous avions été cueillir des fraises, en passant près d’un mulon, je me ruai sur lui, et le couvrant de tout mon corps en l’embrassant à la bouche, je me mis à crier : « Aime-moi donc, marions-nous, marions-nous ! » Il se dégagea de moi et s’enfuit.
Depuis ce temps-là je m’écartai de tout le monde et ne sortis plus de la ferme, je vivais solitairement dans mes désirs, comme d’autres dans leurs jouissances.