Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/237

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ta tête sur ma poitrine, que j’en sente bien le poids, que tes cheveux me caressent le cou, que mes mains parcourent tes épaules, ton regard est si tendre !

La couverture défaite, qui pendait à terre, laissait nos pieds à nu ; elle se releva sur les genoux et la repoussa sous le matelas, je vis son dos blanc se courber comme un roseau ; les insomnies de la nuit m’avaient brisé, mon front était lourd, les yeux me brûlaient les paupières, elle me les baisa doucement du bout des lèvres, ce qui me les rafraîchit comme si on me les eût humectés avec de l’eau froide. Elle aussi, se réveillait de plus en plus de la torpeur où elle s’était laissée aller un instant ; irritée par la fatigue, enflammée par le goût des caresses précédentes, elle m’étreignit avec une volupté désespérée, en me disant : « Aimons-nous, puisque personne ne nous a aimés, tu es à moi ! »

Elle haletait, la bouche ouverte, et m’embrassait furieusement, puis tout à coup, se reprenant et passant sa main sur ses bandeaux dérangés, elle ajouta :

— Écoute, comme notre vie serait belle si c’était ainsi, si nous pouvions demeurer dans un pays où le soleil fait pousser des fleurs jaunes et mûrit les oranges, sur un rivage comme il y en a, à ce qu’il paraît, où le sable est tout blanc, où les hommes portent des turbans, où les femmes ont des robes de gaze ; nous demeurerions couchés sous quelque grand arbre à larges feuilles, nous écouterions le bruit des golfes, nous marcherions ensemble au bord des flots pour ramasser des coquilles, je ferais des paniers avec des roseaux, tu irais les vendre ; c’est moi qui t’habillerais, je friserais tes cheveux dans mes doigts, je te mettrais un collier autour du cou, oh ! comme je t’aimerais ! comme je t’aime ! laisse-moi donc m’assouvir de toi !

Me collant à sa couche, d’un mouvement impétueux, elle s’abattit sur tout mon corps et s’y étendit avec une joie obscène, pâle, frissonnante, les dents