d’abord personne ne l’eût compris ; à quoi bon, dès lors, en ouvrir la bouche ?
Ils auraient eu raison, elle n’était peut-être ni plus belle ni plus ardente qu’une autre, j’ai peur de n’aimer qu’une conception de mon esprit et de ne chérir en elle que l’amour qu’elle m’avait fait rêver.
Longtemps je me suis débattu sous cette pensée, j’avais placé l’amour trop haut pour espérer qu’il descendrait jusqu’à moi ; mais, à la persistance de cette idée, il a bien fallu reconnaître que c’était quelque chose d’analogue. Ce n’est que plusieurs mois après l’avoir quittée que je l’ai ressenti ; dans les premiers temps, au contraire, j’ai vécu dans un grand calme.
Comme le monde est vide à celui qui y marche seul ! Qu’allais-je faire ? Comment passer le temps ? à quoi employer mon cerveau ? comme les journées sont longues ! Où est donc l’homme qui se plaint de la brièveté des jours de la vie ? qu’on me le montre, ce doit être un mortel heureux.
Distrayez-vous, disent-ils, mais à quoi ? c’est me dire : tâchez d’être heureux ; mais comment ? et à quoi bon tant de mouvement ? Tout est bien dans la nature, les arbres poussent, les fleuves coulent, les oiseaux chantent, les étoiles brillent ; mais l’homme tourmenté remue, s’agite, abat les forêts, bouleverse la terre, s’élance sur la mer, voyage, court, tue les animaux, se tue lui-même, et pleure, et rugit, et pense à l’enfer, comme si Dieu lui avait donné un esprit pour concevoir encore plus de maux qu’il n’en endure !
Autrefois, avant Marie, mon ennui avait quelque chose de beau, de grand ; mais maintenant il est stupide, c’est l’ennui d’un homme plein de mauvaise eau-de-vie, sommeil d’ivre mort.
Ceux qui ont beaucoup vécu ne sont pas de même. À 50 ans, ils sont plus frais que moi à vingt, tout leur est encore neuf et attrayant. Serai-je comme ces mau-