Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/245

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femmes portées en palanquin, et puis des coupoles s’arrondir, des pyramides s’élever dans les cieux, des souterrains étouffés, où les momies dorment, des défilés étroits, où le brigand arme son fusil, des joncs où se cache le serpent à sonnettes, des zèbres bariolés courant dans les grandes herbes, des kangourous dressés sur leurs pattes de derrière, des singes se balançant au bout des branches des cocotiers, des tigres bondissant sur leur proie, des gazelles leur échappant…

Allons, allons ! passons les océans larges, où les baleines et les cachalots se font la guerre. Voici venir comme un grand oiseau de mer, qui bat des deux ailes, sur la surface des flots, la pirogue des sauvages ; des chevelures sanglantes pendent à la proue, ils se sont peints les côtes en rouge ; les lèvres fendues, le visage barbouillé, des anneaux dans le nez, ils chantent en hurlant le chant de la mort, leur grand arc est tendu, leurs flèches à la pointe verte sont empoisonnées et font mourir dans les tourments ; leurs femmes nues, seins et mains tatoués, élèvent de grands bûchers pour les victimes de leurs époux, qui leur ont promis de la chair de blanc, si moelleuse sous la dent.

Où irai-je ? la terre est grande, j’épuiserai tous les chemins, je viderai tous les horizons ; puissé-je périr en doublant le Cap, mourir du choléra à Calcutta ou de la peste à Constantinople !

Si j’étais seulement muletier en Andalousie ! et trotter tout le jour, dans les gorges des sierras, voir couler le Guadalquivir, sur lequel il y a des îles de lauriers-roses, entendre, le soir, les guitares et les voix chanter sous les balcons, regarder la lune se mirer dans le bassin de marbre de l’Alhambra, où autrefois se baignaient les sultanes.

Que ne suis-je gondolier à Venise ou conducteur d’une de ces carrioles, qui, dans la belle saison, vous mènent de Nice à Rome ! Il y a pourtant des gens qui vivent à Rome, des gens qui y demeurent toujours.