Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/249

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ont fait en toute leur vie, c’était quelque chose de trop humiliant pour son orgueil, et il aima cependant plusieurs femmes mariées ; quelquefois il se mit en beau chemin, mais la répugnance le prenait tout à coup, quand déjà la belle dame commençait à lui faire les yeux doux, comme les gelées du mois de mai qui brûlent les abricotiers en fleurs.

Et les grisettes, me direz-vous ? Eh bien, non ! il ne pouvait se résigner à monter dans une mansarde, pour embrasser une bouche qui vient de déjeuner avec du fromage, et prendre une main qui a des engelures.

Quant à séduire une jeune fille, il se serait cru moins coupable s’il l’avait violée, attacher quelqu’un à soi était pour lui pire que de l’assassiner. Il pensait sérieusement qu’il y a moins de mal à tuer un homme qu’à faire un enfant ; au premier vous ôtez la vie, non pas la vie entière, mais la moitié ou le quart ou la centième partie de cette existence qui va finir, qui finirait sans vous ; mais envers le second, disait-il, n’êtes-vous pas responsable de toutes les larmes qu’il versera depuis son berceau jusqu’à sa tombe ? sans vous, il ne serait pas né, et il naît, pourquoi cela ? pour votre amusement, non pour le sien, à coup sûr ; pour porter votre nom, le nom d’un sot, je parie ? autant vaudrait l’écrire sur un mur, à quoi bon un homme pour supporter le fardeau de trois ou quatre lettres ?

À ses yeux, celui qui, appuyé sur le Code civil, entre de force dans le lit de la vierge qu’on lui a donnée le matin, exerçant ainsi un viol légal que l’autorité protège, n’avait pas d’analogue chez les singes, les hippopotames et les crapauds, qui, mâle et femelle, s’accouplent lorsque des désirs communs les font se chercher et s’unir, où il n’y a ni épouvante et dégoût d’un côté, ni brutalité et despotisme obscène de l’autre ; et il exposait là-dessus de longues théories immorales, qu’il est inutile de rapporter.

Voilà pourquoi il ne se maria point et n’eut pour