— Oui, je te fais mon premier ministre et je te donne la Normandie que je vais avoir… Ah ! ah ! je l’aurai, dit-il comme machinalement et en lui-même, je l’aurai donc ce beau fleuron de ma couronne, je serai roi chez moi… Et puis pourquoi n’aurais-je pas la Bourgogne, la Champagne, la Bretagne ?… Encore une fois, Arnould, je te fais mon premier ministre.
Et il le congédia en l’embrassant.
— En ce moment le vent devint plus fort, et son souffle dans l’air souleva quelques fleurs que le soleil avait fanées et qui vinrent voltiger devant la fenêtre du roi. « Les fleurs du peuple », se dit-il en riant amèrement, et un remords lui tortura l’âme.
Le lendemain, Osmond, tuteur du duc, vint redemander son pupille au roi.
— Pourquoi ? répondit celui-ci.
— Sire, j’étais un des plus vaillants capitaines de la Normandie lorsqu’elle était sous Guillaume, j’ai laissé bien des larges gouttes de sang dans des champs de bataille, le duc m’aimait comme son fils, et lorsqu’il partit pour son entrevue en Flandre, où il fut si lâchement assassiné…
— Qu’y-a-il besoin de revenir sans cesse sur cette affaire ? dit le roi en rougissant, nous la connaissons, continuez.
— Je vous disais, sire, qu’avant de partir pour la Flandre, il se méfiait de quelque chose et il craignait Arnould, ce seigneur assassin.
— Je vous ai averti, messire Osmond, insulter le nom d’un de nos vassaux c’est m’insulter moi-même. Vous croyez donc, parce que vous êtes tuteur de cet enfant, que vous êtes maître de la Normandie ? que le roi est ici par hospitalité ? que vous pouvez gouverner Rouen sans que personne, excepté vous, ait le droit de vie ou de mort ? Vous vous trompez, car si je faisais dresser une potence et mettre un grand seigneur au haut, que diriez-vous alors ?