Avec Tibère commence l’ère nouvelle voluptueuse ; le premier, il est atteint du malaise intime qui torture les entrailles de la société à ses vieux jours ; il se retire à Caprée, malade, fatigué de la vie et craignant la mort ; il convoite le bonheur, il aspire aux voluptés, mais le bonheur fuit devant lui et la volupté glisse dans ses mains.
Le pouvoir est alors si élevé que le vertige monte à la tête de ceux qui s’en emparent, et ils sont pris d’une manie insensée ; le monde étant à un seul homme, comme un esclave, il pouvait le torturer pour son plaisir, et il fut torturé en effet jusqu’à la dernière fibre.
Après qu’il avait arraché au monde romain sa gloire passée pour se l’attribuer, ses dieux pour se mettre à leur place, ses richesses pour les manger, ses sénateurs pour en faire des laquais, ses prêtres pour en faire des bouffons, et la capitale de l’empire pour l’honorer du spectacle de ses débauches, étonné alors que cela fût si superbe, et surpris lui-même, l’empereur eût pu s’écrier, dans l’étonnement d’un sensualisme atroce et regardant la patrie esclave à ses pieds : « Je ne savais pas que ma mère fût si belle ! »
Ils s’appelaient Caligula, Néron, Domitien ; des millions se mangent à leur table, on égorge des hommes pendant qu’ils s’enivrent, et la vapeur du sang se mêle à celle des mets. Le crime est une volupté comme Les autres, on entendait les cris des victimes égorgées dans le cirque pendant que la fanfare résonnait, que les esclaves chantaient. Néron disait aux bourreaux : « Faites en sorte qu’ils se sentent mourir », et, penché en avant sur les poitrines ouvertes des victimes, il regardait le sang battre dans les cœurs, et il trouvait, dans ces derniers gémissements d’un être qui quitte la vie, des délices inconnues, des voluptés suprêmes, comme lorsqu’une femme, éperdue sous l’œil de l’empereur, tombait dans ses bras et se mourait sous ses baisers.