Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/33

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smarh.

Oh ! l’éternité ! C’est donc cela, c’est donc le bonheur promis ?

satan.

Grand bonheur, n’est-ce pas ? de durer toujours ! Et c’est là ce que tu souhaites ! tu veux l’éternité, toi, et tu es déjà las de tout cela ! tu veux l’éternité, et la vie te fatigue ? Est-ce que cent fois déjà tu n’as pas souhaité d’être néant, de rester tranquille dans le vide, d’être même quelque chose de moins que la poussière d’un tombeau, car le souffle d’un enfant peut la remuer. Orgueil de la nature, trop fatiguée de vivre quelques minutes, et qui voudrait durer toujours !

C’est pour nous, vois-tu, que l’éternité est faite, pour nous autres, pour ces planètes qui brillent, pour ces étoiles d’or, pour cette lune d’argent, pour tout cela qui remue, qui gémit, qui roule, pour moi qui mange et qui dévore toujours.

Oh ! si tu étais assez grand pour tout voir, tu verrais que tout n’est qu’une larme ! Si tu pouvais tout entendre, tu n’entendrais qu’un seul cri de douleur : c’est la voix de la création qui bénit son Dieu.

smarh.

Qui donc a fait cela ? Est-ce lui qui mourait aux Oliviers ? est-ce lui qui parlait aux armées d’Israël dans le désert, quand, le soir, les vents amenaient les bruits vagues de l’horizon avec les paroles du Seigneur ? Quel est celui dont tout cela est sorti ? Et tous ces mondes sont-ils partis dans les vents, comme le sable de la mer quand on ouvre les mains ? Est-ce cette voix qui gronde dans la tempête, qui chante dans les feuilles ? Sont-ce des rayons de soleil qui dorent les nuages ? Et où est-il ? dans quel coin de l’espace ?

satan.

Et si tu le voyais, que dirais-tu ? Qu’as-tu besoin