Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/34

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de le connaître ? quelle est cette démence qui te ronge ?

Il faut donc que tu connaisses tout ! Et si tu arrivais à ne voir dans l’infini qu’un vaste néant ? Va, laisse celui qui a fait tous les grains de poussière brillants, il a maintenant pitié de son œuvre, il s’inquiète peu si le vermisseau mange et s’il meurt ; il est là-haut, bien haut sur nous tous, il s’étend sur l’immensité, il la couvre de sa robe comme un linceul de mort, et il regarde les mondes rouler dans le vide ; il est seul dans cette immobile éternité ; il était grand, il a créé, et sa création est le malheur.

smarh.

Eh quoi ! est-ce qu’il ne s’inquiète pas de sa création ? est-ce qu’il ne travaille pas cette éternité ?

satan.

Oui, pour la troubler, comme un pied de géant qui se remue dans le sable.

smarh.

Je croyais que sa volonté faisait marcher tout cela, et que les mondes allaient à sa parole, et que les astres s’abaissaient devant son regard.

satan.

Non ! cela est, vois-tu, cela existe par des lois qui furent posées irrévocablement le jour maudit où tout fut créé, et le destin pèse et manie l’éternité, comme il manie et ploie l’existence des hommes ; lui-même ne saurait se soustraire à la fatalité de son œuvre.

smarh.

Cependant, il fut un temps où tout cela n’était pas ! Qu’était-ce donc alors ?

satan.

Le vide !