Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/86

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jettent par terre ; il faudra remporter toutes nos fleurs, toutes nos couleurs aux pieds du bon Dieu.

les dalles.

On nous a usées, nous sommes trouées en maints endroits, nous sommes lasses d’être foulées par des pieds impurs, les morts qui sont sous nous semblent nous repousser de dessus eux. Pourquoi nous a-t-on tirées des flancs de la montagne, où nous étions si paisibles, au sein de la terre ?

la cloche.

Depuis longtemps je suis muette, personne ne vient plus prendre mon bourdon et faire aller ma bascule ; est-ce que les hommes sont tous morts ?

Autrefois ma voix d’airain chantait à tue-tête, je faisais trembler mon clocher tout frêle, la tour remuait, ivre, et frémissait sous mon poids. Je chantais bien haut dans les airs, et je voyais arriver des campagnes hommes, femmes, vieillards et enfants, accourant, accourant vite et se pressant sous mon portail. Du jour où on me monta ici, j’ai toujours été fêtée, honorée comme la reine de l’édifice, comme la tête de la cathédrale. N’était-ce pas moi, en effet, qui portais la prière de tous dans mes spirales d’harmonie ? Aujourd’hui seulement je me tais, je m’ennuie toute seule, et, si haut, le vertige me prend ; je crois que je vais m’écrouler avec mon clocher, j’ai plutôt envie de me faire fondre en boulets et de courir dans la plaine.

les gargouilles.

Voilà assez longtemps que nous sommes là, droites, hérissées, suspendues ; on nous regarde en bas sans terreur. Autrefois nous crachions l’eau de l’orage, en grimaçant si bien qu’on avait peur ; maintenant ils nous regardent d’en bas en ricanant. Oh ! j’ai envie