Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/116

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sur le seuil et m’a salué en m’invitant à entrer chez elle. Sa chambre était tassée de meubles, les rideaux fermés ; il faisait chaud, on sentait bon, cela venait des odeurs qu’il y avait sur sa table de toilette ; toute sa personne sentait de même, c’était quelque chose de tiède et de frais à la fois, comme une brise d’été.

« Elle marchait devant moi, j’étais derrière, presque sur ses talons ; je voyais son cou brun, où de petits cheveux noirs se collaient d’eux-mêmes sur sa peau, dont chaque pore semblait aspirer mon haleine. Je m’approchai encore, elle s’était arrêtée, j’avançai la tête ; entre son corps et son vêtement sa chemise bâillait, je voyais toute la raie de son dos, dont la ligne se perdait vite à la courbure de sa taille.

« Elle se détourna et se mit à rire.

« — Pourquoi faire, cette pâte liquide ? lui demandai-je.

« Elle me répondit :

« — C’est pour me frotter les bras.

« — Et ce grand flacon rouge ?

« — C’est de l’eau de rose pour me laver la bouche.

« Je ne parlais pas, je la regardais, elle aussi ; quoique nous fussions alors à deux pas l’un de l’autre, nous nous trouvâmes tout à coup rapprochés, et je sentis en effet que sa bouche sentait la rose. Il coulait de ses yeux un fluide lumineux, ils étaient agrandis, immobiles ; ses épaules nues, car elle était sans fichu et sa robe semblait lâche autour d’elle, étaient d’un vermeil pâle, lisses et solides comme du marbre jauni ; des veines bleues couraient dans sa chair ardente, sa gorge battante s’abaissait et montait, pleine d’un souffle étouffé, qui m’emplissait la poitrine.

« Il y avait un siècle que cela durait, toute la terre avait disparu, je ne voyais que sa prunelle qui se dilatait de plus en plus, je n’entendais que sa respiration, qui bruissait seule dans le silence complet où nous étions plongés.