Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/127

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air tiède autour d’elle ; elle lui livrait tout cela à froisser dans ses bras, à tasser, à déchirer pour son plaisir ; elle se coiffait exprès pour qu’il lui ôtât son peigne et lui défît ses bandeaux ; elle s’habillait longuement, choisissait ses plus fines broderies, sa robe la plus neuve afin que, dans un emportement, dans un éclat, Henry arrachât ce fichu, cassât ce nœud avec ses dents et foulât toute cette toilette édifiée pour lui, sacrifiée par avance, qu’elle se procurait l’occasion de faire pour en sentir plus tard tout le plaisir.

Dans l’escalier, en montant les derniers, ils se pressaient les mains ; entre deux portes ils s’embrassaient, à table leurs genoux se touchaient. Quand il y avait du monde dans le salon, quand Mme Émilie, décolletée et légèrement vêtue, allait de l’un à l’autre, maîtresse de maison entourée des hommages des vieux et de la convoitise muette des jeunes, combien le cœur d’Henry souriait d’orgueil, en pensant que cette épaule couverte se découvrait pour lui, que ces seins cachés, dont on rêvait la forme à travers le vêtement, se donnaient à ses lèvres, que ces yeux placides ou baissés s’allumaient pour lui d’un feu inconnu à tous ces gens, et que maintenant, à la face de tous, devant eux, malgré eux, ils s’unissaient encore par le souvenir et par le désir !

Et quand la nuit revenait, quand, à l’heure habituelle du rendez-vous, ils se retrouvaient à eux-mêmes, seuls, et jouissant de leur joie cachée comme des voleurs qui contemplent leur trésor, Henry lui disait :

— Oh ! comme tu étais fière, tantôt ! à peine si tu me regardais.

— N’est-ce pas ? lui répondait-elle avec un baiser.

— Hein ! qui l’eût dit ?

— Qui s’en doute ?

C’est ainsi que toutes les variétés de plaisir et de vanité se fondaient dans cet ensemble complet qu’on