Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/169

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d’un volume d’odes. Il avait pour son histoire un plan simple et fécond, il la voulait tailler en larges masses, la diviser par groupes bien composés, et dominer le tout par une unité puissante et réelle ; quant à ses vers, il travaillait à assouplir le rythme à tous les caprices de la pensée, c’était une couleur en relief, avec des fantaisies saisissantes, une musique ailée.

Volontairement, et comme un roi qui abdique le jour qu’on le couronne, il avait renoncé pour toujours à la possession de tout ce qui se gagne et s’achète dans le monde, plaisirs, honneurs, argent, joies de l’amour et triomphes de l’ambition ; il disait à son cœur de cesser ses orages et à sa chair d’amortir ses aiguillons ; chez lui, comme chez les autres, il étudiait l’organisme compliqué des passions et des idées ; il se scrutait sans pitié, se disséquait comme un cadavre, trouvant parfois chez lui comme ailleurs des motifs louables aux actions qu’on blâme et des bassesses au fond des vertus. Il ne voulait respecter rien, il fouaillait tout, à plein bras ; jusqu’à l’aisselle, il retournait la doublure des bons sentiments, faisant sonner le creux des mots, cherchant sur les traits du visage les passions cachées, soulevant tous les masques, arrachant les voiles, déshabillant toutes les femmes, entrant dans les alcôves, sondant toutes les plaies, creusant toutes les joies.

Aussi avait-il très peu d’illusions, quoiqu’il fût, direz-vous, dans l’âge classique des illusions ; il ne rêvait pas la femme éthérée ni l’amélioration du genre humain, ni des amours d’Andalouse, ni des guitares dans des gondoles, ni d’un être qui comprît son cœur, ni croyance qui désaltérât son âme, et autres choses de même farine que l’on rencontre dans les feuilletons.