Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/206

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muerai tout, j’ai des amis, des protections, Morel va nous guider, j’irai chez le ministre, chez le roi s’il le faut, je mettrai dans les journaux…

Le père Renaud. — Grâce ! monsieur, grâce, au nom du ciel ! Vous me ruinez, vous décriez ma maison, je suis un homme perdu. Pas de publicité, je vous en prie ; mais ayez pitié de moi aussi, regardez comme j’ai été triché, comme je suis malheureux ! Il vivait ici, mon Dieu, comme les autres ; elle n’avait pas l’air de l’aimer plus que les autres, plus que Mendès, plus qu’Alvarès, que Shahutsnischbach, j’étais à mes leçons, moi ; il venait les prendre dans mon cabinet, il s’en retournait ensuite dans sa chambre étudier toute la journée, jamais je ne me suis aperçu de rien. Il était doux, gentil, jamais un mot plus haut que l’autre, je n’aurais jamais cru… Et elle, monsieur, elle ! elle avait l’air de bien m’aimer aussi ; moi je l’aimais tant ! Croyez-vous qu’il n’y ait que vous à plaindre et que je ne souffre pas non plus ? Sans doute votre douleur est respectable, mais la mienne, monsieur, la mienne est terrible, car c’était ma femme, enfin, ma femme adorée !… Ma pauvre Émilie ! elle tenait ma maison, c’était elle qui réglait tout, les personnes qui venaient ici la respectaient, M. Dubois, M. Lenoir, Mlle Aglaé…

Morel, entre ses dents. — Grand’chose de propre !

Le père Renaud, continuant. — Il faut donc que je perde à la fois ma réputation, ma femme, ma maison, ma fortune, mon honneur, mon avenir, tout ! mon Dieu ! tout ! Qu’est-ce qui voudra me confier des élèves maintenant ? je suis déshonoré ! c’est fini ! Et mon athénée que je voulais établir l’année prochaine, mes cours du soir pour les jeunes personnes ! Les mères de famille ne voudront plus y venir… Ah ! Émilie, Émilie, qui me l’eût dit ? je ne lui refusais rien pourtant !… me voilà ruiné, ruiné, ruiné !!…

La pauvre mère pensait à son fils égaré je ne sais