Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faire savoir leur intention, par hasard ? Vous n’avez donc rien vu dans leurs chambres ?

— Je n’en sais rien, répondit M. Renaud.

— Vous n’y avez pas été ?

— Mon Dieu, non !

— Quelle incurie, s’écria M. Gosselin.

— Ça ne se comprend pas, dit Mme Gosselin.

— Mais vous pouvez y aller, leur répondit-il doucement ; cherchez, voyez, je vais vous y faire conduire.

Ils montèrent d’abord dans la chambre de Mme Émilie ; on eût dit qu’elle venait d’en sortir, les rideaux de soie bleue et de mousseline blanche étaient tirés et cachaient le jour, les draps du lit pendaient par terre sur le tapis ; au fond de la cheminée, sur des tisons blanchâtres, il y avait encore le reste des papiers qu’ils y avaient brûlés, ainsi que sur la table de toilette la cuvette encore pleine d’eau, le grand flacon rose débouché, les pâtes et les essences étendues, avec la brosse à ongles qui s’était usée sur sa main et les peignes qui s’étaient promenés dans sa chevelure. Dans la douce odeur fraîche de cet appartement fermé, sans doute qu’un poète eût senti des souvenirs de femme et de tendresse amoureuse, parfum composé, qui s’exhalait de tous ces vêtements étendus sur des meubles, de ces savons encore humides, de ces lambris silencieux, et qui vous arrivait comme une émanation d’adultère. Les murs n’ont-ils pas leur magnétisme secret, réfractant sur ce qu’ils contiennent présentement quelque chose de ce qu’ils ont contenu jadis ? c’est là le charme immense qui découle des ruines, s’abat sur notre âme, et la tient à penser dans une mélancolie si large et si profonde !

Mais ils profanèrent tout, les infâmes ! ils se mirent à visiter, à regarder et à fouiller dans tous les coins ; un d’eux s’assit dans un fauteuil, celui peut-être où Henry, d’ordinaire, la faisait mettre sur ses genoux et lui parlait des plus belles choses de la vie ; un autre,