Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/209

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avec ses deux mains, toucha à la petite table ronde à fleur jaune où elle s’accoudait tout le jour, quand elle travaillait à sa fenêtre ; c’était sur cette fleur jaune, vous savez, que s’arrêtaient ses yeux durant ses meilleures songeries.

Ils ne purent rien trouver, quoiqu’ils ouvrissent les tiroirs et soulevassent tous les meubles. À quoi bon rapporter tout ce qu’ils dirent aussi de grossier et d’inepte ? M. Renaud, se désolant, répétait sans cesse : « Émilie ! ma pauvre Émilie ! » Mme Gosselin s’indignait du désordre de cet appartement, si peu en rapport avec ses idées de ménagère et de provinciale, et son mari trouvait qu’il y régnait généralement un air de mollesse et de vice qui n’était pas son genre de vice à lui, et qui le scandalisait fort.

— Ah ! voilà, voilà, disait-il, un tas de pommades, d’odeurs, d’eaux pour les gencives, de drogues et de recettes ! J’en étais sûr ! ça dit bien le reste, on n’a pas besoin d’en savoir davantage.

Puis avec un air de dégoût vertueux :

— Ah ! mon Dieu ! ah ! mon Dieu !

Quant à Morel, il s’était assis sans façon sur le lit ; il aspirait la saveur du camphre et du patchouli, et regardait l’ameublement qui était sous ses yeux, en le comparant à d’autres ameublements à peu près pareils, auxquels il était très accoutumé ; il trouvait qu’il manquait à celui-ci un grand sofa et une armoire à glace.

La chambre d’Henry, comme on le pense bien, fut encore moins épargnée. D’abord Mme Gosselin visita sa commode et vit qu’il était parti avec presque tous ses effets. Dans l’ensemble, pourtant, il n’y avait rien de changé : le portrait de Louise, le fusil, les fleurets étaient à leurs places accoutumées, et, sur la cheminée, la boîte où il mettait ses lettres était restée entre les flambeaux. On l’ouvrit, elle était vide ; dans le double fond seulement Henry avait oublié une