Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/230

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partie de promenade ; le temps était magnifique, celle-ci prit son châle et son chapeau, et ils sortirent ensemble.

À partir de ce jour-là, tout fut fini pour notre héros ; il le sut et se le prouva clairement sans en être affligé. Donc il se résigna à la perte de sa belle passion évanouie, et n’essaya plus de se reporter à des époques passées, ni de se redonner une jeunesse impossible, comprenant bien qu’il entrait alors dans une autre période de sa vie et que l’amour aussi est un drame complet, se jouant dans le cœur de l’homme, et qui a son premier acte, son second acte, et son cinquième acte enfin, où il doit mourir, soit à l’improviste d’un coup de poignard, soit agonisant lentement, empoisonné n’importe par qui, pour faire place ensuite au vaudeville ou à quelque autre comédie plus sérieuse et tout aussi bouffonne. Dès lors, exigeant moins de son cœur, il le trouva plus riche ; ne rêvant plus tant de bonheur, il devint plus heureux.

La vie a besoin, pour paraître belle, que l’on se mette à un point de vue convenable, d’où la lumière du ciel ne tombe pas trop fort, et d’où les ombres ne soient pas trop noires. Tout dépend de la perspective, n’agrandissez pas les horizons et ne rapetissez pas les premiers plans.

Il n’est pas vrai de dire qu’Henry n’aima plus Mme Renaud ; il l’aima encore, mais d’une façon plus tranquille, avec moins de plénitude et d’ardeurs, passion devenue plus sereine et plus rassise, corollaire de son aînée tout en étant son antipode, sans éruptions furieuses et sans bouillonnements intérieurs, retirant un peu à l’affaissée, comme eût dit maître Michel.

Il dormit mieux et passa aussi des jours plus tranquilles ; il eut moins d’ambition pour elle et moins d’orgueil à cause d’elle, il ne se trouva plus si pauvre, et la sérénité et l’insouciance reprirent leur place dans son cœur, comme autrefois, aux premiers temps qu’il